Prologue — Kayn
Il faisait sombre et ses jumeaux dormaient. Seul, sur le divan craquelé, il se mit à songer. Sa dépression le rongeait inlassablement, encore plus depuis qu’il avait quitté celle qu’il croyait pouvoir aimer jusqu’à son dernier souffle. Il ne cessait de contempler cette chimère lui montrant cette femme aux cheveux noir de jais. Elle était accompagnée de leur fille, son portrait craché. Une douce odeur de rosier sauvage se propagea inconsciemment dans les sinus du Corbeau.
D’ordinaire, il haïssait ce parfum, mais pour ces deux êtres aux pupilles azurites, il était prêt à tout endurer. Une famille de bruns aux yeux bleu glace, c’était ce qu’ils devaient créer, mais le destin en avait décidé autrement. La douce peau de sa bien-aimée se frottait encore passionnément contre sa main. Cela ne suffisait pourtant pas à soigner sa folie. Ce canapé aux multiples déchirures ne représentait que le fruit d’une névrose si développée qu’elle se répercutait depuis toujours et à jamais sur sa descendance.
Le moyen de se venger de ce qui avait accentué sa détresse s’ébaucha dans son esprit. Ses boucles ébènes tombaient en une hypnotisante cascade sur son visage. Elle rendait ce personnage encore plus sordide qu’il ne l’était à l’intérieur. Le Corbeau savait que sa sorcellerie l’avait délaissé depuis une bonne décennie, mais le jeu en valait la chandelle. Un court instant, il s’évada une seconde fois de la réalité et repensa au jour où il avait rencontré son enrôleur. Il venait de passer douze mois en enfer et commençait à broyer du noir chez son père adoptif. Ce débutant aurait dû y réfléchir à deux fois avant de poser les pieds chez lui. Il n’avait suffi que d’un crochet droit pour mettre son supérieur à terre. Le sang qui avait giclé de la bouche de l’inconnu le réjouissait toujours autant. Un rire guttural et ténébreux s’échappa de sa gorge lorsqu’il ressentit l’effet que cet acte lui avait provoqué. Son humeur se recadra rapidement sur sa folle idée : réinventer l’utilisation de sa magie noire.
Il ne lui avait fallu qu’une nuit blanche pour mettre en place un sort des plus déroutants. Il était alors question d’une nécromancie des plus insensées que le monde ait connue ; mourir et se réincarner en une essence sulfureuse aussi ténébreuse que son âme. Qu’en serait-il des deux garçons dans la pièce d’à côté ? Souffriront-ils le martyre ? Il était tentant de penser que leur géniteur ait la déraison de les emmener en son sein afin de ne faire qu’un et disparaître. Seulement, ces êtres, qui, à défaut d’avoir une ascendance équilibrée, avaient déjà un avenir tout tracé, une vie à canaliser avant de la voir, elle aussi, être ensevelie par la mélancolie.
Le père macabre se leva et se dirigea vers la fenêtre au garde-corps absent. Sa main effleura sèchement la vitre de la baie vitrée. Il ouvrit avec lenteur l’accès séparant l’appartement du dixième étage au vide bien trop immense qui guettait les rues de la capitale française. Trois phrases latines, deux tours de passe-passe et un saut de l’ange suffirent à transformer ce sinistre personnage en une nébulosité presque apocalyptique.
Pour le commun des mortels, cette flopée de nuages noirauds et brumeux n’était que le fruit d’un tragique incendie inventé par les médias pour étouffer l’affaire. Pour les Royaumes nommés Hatlas, Utris et Diamantica, ce n’était que le début d’un long cheminement vers ce qui sera un jour l’appel de l’Élue des Ténèbres.