Prologue
Juin, sur la plage de Boucan Canot à La Réunion.
Je suis en train de bronzer avec Alice et Maci lorsque celle-ci me demande :
— Si tu veux aller plus loin avec Roman, est-ce que tu vas lui parler de Dylan ?
— Maci, tu me vois lui dire : « Écoute, pour avancer, il faut que tu saches qu’il y a six ans, j’ai perdu mon premier amour dans un accident… » ? Il va plutôt prendre ses jambes à son cou. Et puis pour le moment il ne se passe rien avec Roman, on flirte, mais c’est tout.
— Ce n’est pas pour te blesser bichette, mais il vaudrait mieux que tu lui en parles. Il va se battre contre un fantôme.
— Et pourquoi ? Dans quatre jours on rentre, il ne sait pas l’effet qu’il me fait et on va bientôt reprendre nos vies. Maci, Dylan n’était pas n’importe qui. Et Roman, on ne le reverra jamais, à la rigueur on gardera contact par message, mais c’est tout.
— Dis surtout que tu as peur de ce que tu ressens. Paige, la dernière fois que tu as vécu ça, c’était lorsque tu as rencontré Dylan. Certes, il a fait le con, mais vous avez eu la plus belle histoire qui soit pendant deux ans, me dit Alice avec de la peine dans la voix.
— Et où ça m’a menée ? J’ai perdu dix kilos en un mois, je n’étais plus que l’ombre de moi-même, je ne mangeais presque rien, je ne dormais pas, j’ai pété les plombs et j’en ai voulu à la terre entière. Il y a quatre ans, je suis sortie du trou grâce à vous, je n’ai franchement pas envie d’y retourner tout de suite. Vous savez très bien ce que j’ai dû sacrifier.
— Mais non, il faut que tu avances, Paige. Je suis sûre que c’est ce que Dylan et David auraient voulu. C’est ce qu’on veut tous pour toi.
— Stop, les filles, on peut en parler plus tard ? Je n’ai pas envie de me prendre la tête avec vous et je n’ai pas besoin d’en parler aujourd’hui. Je désire simplement profiter des derniers jours de nos vacances.
— Pas de souci, bichette. On en parlera quand tu le voudras, tu sais qu’on est toujours là. Tiens, regarde qui arrive !
Je tourne la tête et j’aperçois Roman et son frère Léandro. Je force un sourire et lance :
— Salut, les boys ! Comment ça va ?
— Salut, les filles. Bah écoute, bientôt la fin du repos, mais bon.
— Oui, on va en tirer le meilleur.
— Vous connaissant, ça ne m’étonne même pas. Léandro, tu t’es rincé la bouche à la Javel, j’espère ?
Maci a toujours le mot qu’il faut. Hier soir, nous sommes sortis et Léandro a choppé une fille, mais il est nécessaire de dire ce qui est : elle était bizarre et vraiment pas belle. Il avait un peu bu alors il s’en foutait plus qu’autre chose.
— Je ne vois pas du tout de quoi tu parles, Maci. Tu es mauvaise !
— Heu non, c’est la fille d’hier soir qui était mauvaise… Haha, t’as vraiment des goûts chelous quand même.
Maci et Léandro ont passé quinze jours à s’envoyer bouler, ils m’ont tellement fait rire.
— Bah miss, on dirait que ça ne va pas ?
Roman me sort de mes pensées.
— Oh, ne t’inquiète pas. Je pense que le retour la semaine prochaine sera dur. Ce sont mes meilleures vacances. J’ai complètement zappé mes soucis.
— Ne t’en fais pas, ça va aller.
Il me prend dans ses bras.
— J’espère juste qu’on se reverra un jour.
Je souris en le regardant s’installer à côté de moi comme s’il n’avait rien dit.
Chapitre 1
Trois mois plus tard, dans mon appartement à Limoges.
Je me réveille et la chanson de Keen’V Un monde meilleur retentit dans ma chambre, j’ai juste envie de lancer mon portable.
C’est le premier jour de cours depuis quatre mois. Ça a été un peu dur après des vacances sur une île paradisiaque entourée de mes deux meilleures amies et avoir fait une rencontre qui m’a bouleversée, même si nous ne nous voyons plus, parce qu’il a fait revivre mon cœur que je ne pensais plus capable d’aimer avec tout ce que j’ai vécu. Un réel coup de foudre. Et j’ai repris ma vie comme à mon habitude. J’ai passé une partie de ma soirée et de ma nuit à parler avec Roman et, mon Dieu, il est tellement adorable. Malheureusement, depuis notre départ, nous nous parlons seulement par message et appel. La distance est un point négatif, mais c’est plus facile pour moins penser à lui.
J’ai passé les plus beaux congés de toute ma vie et le retour à la réalité a été dur… très dur… Mais jusqu’à hier, j’ai travaillé dans une librairie, j’étais dans mon univers et c’était parfait. Rien que d’y penser, j’ai le sourire aux lèvres. Je veux vraiment transmettre ma passion. D’ailleurs, il était temps que je m’en rende compte puisque j’attaque ma dernière année de master pour être professeure de littérature. Beaucoup de choses se sont passées dans mon passé, j’ai vingt-quatre ans et je suis sur les bancs de l’école.
Pour en revenir à Roman, il était plus que parfait, mais je ne me suis avoué ce que je ressentais qu’une fois rentrée. La malchance, oui je sais, c’est mon deuxième prénom ! Je finis par me lever pour aller couper la musique et lancer ma playlist qui va me mettre de bonne humeur.
Je file sous la douche avant d’être vraiment en retard et passe ma tenue préférée pour cette rentrée. Une robe bustier noire avec une fermeture sur le devant, un gilet blanc et mes chaussures à talons noirs.
Je sors de ma chambre pour prendre mon petit déjeuner et vois Maci. Nous partageons un F4 en ville, pas très loin de la fac, c’est pratique pour moi qui suis tout le temps en retard.
— Hé bichette. Comment ça va ce matin ? T’es prête pour cette dernière année ?
— Hé patate ! Ça va et toi ? Hum pas vraiment, mais je n’ai plus le choix, c’est la dernière ligne droite. De toute façon il faut que j’y arrive.
— Oui c’est sûr. Et tu sais qu’on sera toujours là pour toi.
— Je suis tellement claquée. La prochaine fois, interdis-moi de parler pendant des heures au téléphone avec lui, il m’a épuisée.
— Je ne suis pas ta mère non plus. Mais je me ferai une joie de t’engueuler.
— Alice est déjà partie ? Je ne fais que la croiser depuis peu.
— Faut-il que je te rappelle qu’elle a dormi chez Marc hier soir… ?
— Ah oui, pas faux, qu’est-ce que je ferais sans toi Maci ?
— En vrai ? Pas grand-chose en fait, tu serais complètement perdue sans moi.
— Ça va les chevilles ? Tu ne veux pas non plus que je t’offre des fleurs ?
— Non ça ira. Par contre je veux bien que ce week-end on sorte en boîte, j’ai besoin de me vider la tête et toi aussi, je le sais.
— Tu me connais trop bien. Aucun souci là-dessus ! Avec James, Alice et Marc ?
— Bien sûr. Mais promis on ne te laissera pas dans un coin ! Et je sais les efforts que tu fais pour tolérer James.
— On verra ! Bon allez, je file sinon je vais vraiment être en retard et ce sera ta faute. Tu sais que c’est pour toi que je le fais.
Je me doute bien que ce n’est pas toujours facile pour Maci, surtout en ce moment. Elle vient de perdre son boulot dans une parfumerie et il y a quinze jours elle s’est fait agresser en rentrant. Tout lui est arrivé en très peu de temps. Pour le moment, elle a du mal à sortir toute seule alors le week-end nous en profitons parce que je suis là, enfin au moins deux fois par mois. Elle est avec James depuis bientôt trois ans. Parfois, je les envie et je me rappelle à quel point je ne le supporte pas. Toujours en train de faire des manières et à traiter Maci comme une chienne, à lui demander et lui reprocher des choses tout le temps.
De mon côté, j’ai tellement souffert en relation. Mon premier vrai grand amour est décédé d’un accident de voiture il y a maintenant six ans. Ma dernière année de lycée a été particulièrement dure, surtout quand ma vie a été passée au peigne fin pendant plusieurs mois. J’ai même dû mettre mes études en pause parce que moralement je ne me sentais pas bien du tout. Mes moindres faits et gestes ont été surveillés. Mes parents étaient beaucoup sur mon dos et encore aujourd’hui il leur arrive de s’inquiéter sans raison pour moi. C’est un peu pesant, j’ai beau leur dire que je vais mieux, rien n’y fait. Mais je les aime quand même.
Maci est rousse, les cheveux longs, le teint mat et les yeux bleus. Elle porte un piercing à la langue et un tatouage dans le dos. Son style vestimentaire bien à elle (toujours très coloré). C’est la boule d’énergie de notre trio.
Alice est blonde, les cheveux au carré, bouclés (naturels, j’adore) et a les yeux noirs. Elle est également percée à la langue, mais n’a pas de tatouage. Comparée à Maci et moi, elle met souvent du noir et bosse dans un hôpital.
Quant à moi, j’ai les cheveux d’un naturel châtain, mais je suis tout le temps en train de changer de couleur. Depuis peu j’ai fait un Tie and Dye noir et bleu. J’ai deux piercings (à la langue et au nombril) et sept tatouages, ils racontent ma vie, mon parcours.
J’ai hâte d’être samedi soir pour sortir, j’ai besoin de penser à autre chose qu’à Roman parce que je sais que je ne le reverrai pas. Il faut que j’avance et je vais finir par me dire que ce sera seulement un ami. Il y a bien longtemps que je n’avais pas été comme ça avec quelqu’un. J’ai mis pas mal de temps à laisser Dylan, d’ailleurs il n’y a jamais eu personne d’autre… enfin si des coups d’un soir, mais c’est tout. Aucun à qui j’ai vraiment pu m’attacher.
Une fois sortie de cours, je file à l’appart, il faut que je me repose un peu avant de me remettre dans mes révisions. Cette année je vais me donner toutes les chances de réussir.
— Hé patate ! Je suis rentrée.
— Je vois ça…
— Des nouvelles d’Alice ?
Elle me manque quand même.
— Oui, elle rentre ce soir parce que demain elle est en repos. Et ce week-end elle ne pourra pas venir, elle est de garde. Du coup Marc non plus vu qu’elle dort chez lui, et je pense que James ne sortira pas.
— Ils abusent. Tant pis on sortira en amoureuses, je ne vais pas me priver pour eux. J’ai envie de ne plus penser à lui.
— Roman te bouffe ton énergie ?
— Tu n’imagines même pas. S’il n’y avait que ça. On passe des heures à se parler… c’est compliqué de me dire que je ne le reverrai pas. Bon allez, je vais me reposer, tu peux me réveiller d’ici une heure ?
— Pas de problème. File, après tu bosses jusqu’à ce soir.
J’envoie un message à Roman pour le prévenir que je vais dormir un peu et qu’après je ne serai pas trop disponible. Je finis par m’allonger sur mon lit et je m’endors sans m’en rendre compte.
Je suis réveillée par la sonnerie de mon téléphone, je décroche sans regarder qui c’est. De toute façon, je n’aurais rien vu, j’ai encore les yeux fermés.
— Oui ?
— Allez feignasse, il est temps de se réveiller…
— Merci Roman, lui dis-je, parce que je reconnaîtrais sa voix entre mille. Ça ne fait pas longtemps que je me suis endormie, enfin, je crois.
— Tu plaisantes, j’espère ?! Non parce que tu m’as envoyé un message à treize heures et il en est cinq de plus chez toi.
— Oh non… Je vais voir ce que fait Maci, elle devait me laisser dormir peu de temps… je te rappelle tout à l’heure.
Je sors de mon lit et de ma chambre comme je peux, je crois que j’ai trop dormi pour le coup. Ça va être compliqué ce soir…
Une fois dans le salon, je trouve Maci assoupie sur le canapé. Bon bah voilà, j’ai compris ! Je ne la réveille pas parce qu’en ce moment, ce n’est pas la grande forme : elle passe son temps à broyer du noir et je trouve qu’elle est vraiment fatiguée. Je la réveillerai plus tard. Du coup, je retourne dans ma chambre et sors mes cours pour commencer à réviser.
Après deux heures de révisions, je lève le nez de mes livres lorsque ma porte s’ouvre.
— Oh mademoiselle se rappelle où elle habite !
— Rooh, ça va Paige, je n’étais pas perdue non plus, me répond Alice.
— On aurait pu lancer un avis de recherche. Je vois bien le truc : « recherche Alice, n’est pas rentrée chez elle depuis hier soir… âge : vingt-quatre ans, oui elle est majeure, mais ses deux meilleures amies s’inquiètent » ! La bonne blague.
— Surtout que je vous avais prévenues.
— Oui, mais tu connais ma mémoire sélective !
— Ouais, en ce moment elle est même branchée en boucle sur Roman.
— Ça suffit avec lui, oui.
— Bref… tu viens manger ? J’ai rapporté chinois pour me faire pardonner.
— Là je te reconnais bien ! Maci est réveillée ?
— Oui, elle venait de se lever quand je suis rentrée. C’est bizarre d’ailleurs, elle est tout le temps fatiguée, mais elle passe son temps à dormir. Va falloir qu’elle aille voir un médecin.
— Pourquoi ? On en a une à la maison…
— Je travaille avec les enfants. Et j’en vois deux tout le temps quand je rentre du boulot.
— Ça va, hein ! Je pense qu’il faut lui laisser le temps, ce n’est pas simple pour elle en ce moment. Et au fait, comme tu ne peux pas venir samedi soir vu que tu travailles, ça te dit d’aller boire un verre après avoir mangé ? Il faut qu’on sorte Maci un maximum parce que sinon ça va empirer et j’ai envie de sortir.
— Ça ne m’étonne pas de toi. Pas de souci, mais on sort entre filles, ça fait longtemps qu’on n’est pas sorties juste toutes les trois.
— Et la faute à qui ? Je n’ai pas de mec moi ! Je ne demande que ça, de sortir entre filles… J’adore vraiment Marc, mais pour James on repassera. En tout cas, nos soirées d’avant me manquent. Quand tu es de garde, tu vas chez Marc parce qu’il est juste à côté de l’hôpital, la journée tu bosses et si tu fais du rab tu dors chez lui aussi, on te voit seulement quand tu es de repos et encore. Si Maci n’est pas chez James, c’est lui qui vient et je ne peux pas me l’encadrer. J’ai parfois l’impression de vivre toute seule ici, j’aimerais qu’on passe du temps ensemble, tu sais à quel point c’est important pour moi.
— Je suis désolée, je ne pensais pas que ça te pesait autant que je ne sois pas tout le temps là. J’aimerais y remédier. Allez, lève-toi, Maci nous attend.
Après avoir mangé, nous allons chacune dans notre chambre pour nous changer. Il fait encore assez chaud pour le mois de septembre alors je sors mon short blanc avec mon débardeur rose « I’m not a princess, I’m a Khaleesi », un petit peu de maquillage et je file demander à Alice de me faire une natte sur le côté.
Maci a sorti son jeans bleu et un débardeur tout simple et Alice a mis une robe noire. Une fois prête, j’enfile mes converses roses et mon gilet, c’est parti, direction n’importe quel bar, du moment que nous nous amusons.
Nous nous posons en terrasse comme à notre habitude, et un serveur vient prendre notre commande. Vodka Red Bull grenadine pour moi, Despérados pour Alice et Coca pour Maci, ce soir elle fait la petite joueuse ! En attendant nos verres, j’envoie une photo de moi à Roman, j’ai aussi un peu oublié de le rappeler.
« Pour me faire pardonner. Et ce soir, pas de révisions, on est sorties entre filles. J’ai besoin de me vider la tête. Si seulement tu pouvais être là… »
Sa réponse arrive en même temps que nos verres.
« Tu es magnifique… soirée entre mecs prévue pour moi aussi. On va d’abord se balader en ville… oui c’est le soir chez toi, mais pas ici. J’ai essayé de résister, mais ils étaient quatre contre moi… c’était perdu d’avance. »
« Mouais, enfin, te connaissant un minimum, tu n’as pas dû résister bien longtemps. »
Roman est un peu comme moi, malgré nos sept ans d’écart. Il en a trente-et-un et il aime beaucoup sortir, c’est aussi pour cela que ça a aussi vite collé entre nous. Je suis une grande fêtarde depuis des années, bien que je sorte beaucoup moins qu’avant, nous faisons pas mal de soirées à la maison.
J’avais commencé pour oublier mes soucis et par la suite c’est devenu une habitude avec les filles. Nous ne sortons pas tout le temps qu’entre nous, mais parfois c’est cool de nous retrouver juste nous trois à l’extérieur.
Je discute avec elles lorsque je vois un groupe de mecs passer devant nous. Je bloque sur l’un d’eux et je finis par me dire que ce n’est pas possible…
— Alice, je crois qu’on a perdu Paige.
— Tu feras gaffe, tu baves.
— Rooh, t’es conne toi ! Je crois que Roman est trop dans ma tête, j’ai vu un mec qui lui ressemblait beaucoup dans le groupe qui vient de passer, nous savons toutes les trois que ça ne peut pas être lui.
Ma sonnerie de message retentit. Oui, je ne vis pas sans téléphone.
« Ouais, j’ai résisté deux secondes, j’avoue. C’est fou, j’adore passer du temps entre potes et sortir, mais je ne peux pas m’empêcher de t’écrire. Je ne te dérange pas au moins ? »
« C’est dingue, mais c’est pareil pour moi. D’ailleurs, je viens d’avoir une hallucination. Non, non, t’inquiète. Les filles te connaissent, du coup elles ne disent rien. Puis elles ne sont pas mieux avec leurs mecs. »
« Ah oui je vois le genre. Passe une bonne soirée. »
C’est le premier à m’envoyer un message le matin et le dernier le soir. Parfois nous restons même toute la nuit à discuter au téléphone. Et ça fait tellement du bien. Il est loin de remplacer mon meilleur ami Raphaël, mais je lui dis beaucoup de choses aussi.
Je reprends ma conversation avec les filles.
— Les gon’z, demain soir vous êtes à l’appart ou pas ?
— Moi non, vu que je commence tôt ma garde samedi, je serai chez Marc dans la soirée.
— Et moi ça dépend si tu as besoin que je sois là ou pas.
— Bah en fait je comptais inviter Carole, son mari et Nova Lee pour qu’ils voient l’appartement, peut-être qu’après ils pourraient me la laisser… enfin vous savez.
— Parfaitement bichette, d’ailleurs je suis là pour t’aider et pour te rassurer.
— Ça serait génial Maci.
— T’en fais pas, on va y arriver. Dylan serait fier de toi.
— Hum parfois j’en doute. Bref, vous avez fini ? On peut rentrer.
Nous prenons le chemin du retour, nous passons une heure et demie à discuter de tout et de rien, ça fait un bien fou, mais demain matin j’ai cours alors il est temps d’aller dormir, même si ça va être un peu compliqué. Les filles s’installent sur le canapé devant la télé et moi je file dans la salle de bain.
Après une bonne douche, je me pose sur mon lit en virant mes affaires, je voulais réviser un peu avant de me coucher, mais je n’en peux plus. Je commence à somnoler lorsque mon portable sonne… Parfois j’ai envie de le jeter… il sonne trop à mon goût surtout quand je veux dormir.
— Oui ? je réponds avec ma petite voix du genre « vous me faites chier ».
— Je te dérange peut-être ? me demande Roman.
— Non, pas du tout ! Si tu pouvais me voir, tu verrais mon sourire de faux-cul ! Je commençais juste à m’endormir, mais ce n’est pas grave.
— Oh pardon, je peux te laisser sinon.
— Non, bah non, là tu m’as réveillée. Ça va ta journée ?
Je regarde mon réveil et il affiche un peu plus de minuit et demi… ça va piquer tout à l’heure.
— Ouais, on rigole, ça fait du bien de les retrouver. On est rentrés vite fait, mais on va ressortir.
— Je n’en doute pas. Tu as aussi un peu bu non ?
— Non…
Gros silence, ça promet, j’en rigole déjà.
— En fait, si…, mais ce n’est pas ma faute.
— Oui tes potes t’ont proposé et tu n’as pas pu résister.
— C’est ça ! Quatre contre un, je ne peux rien faire.
— Tu me fais rire. J’ai cours moi tout à l’heure…
— Je voulais entendre ta voix avant de ne plus m’en rappeler…
— Bah voilà, c’est fait !
— T’es méchante avec moi.
J’imagine trop la tête qu’il doit faire en me disant ça. S’il savait vraiment l’effet qu’il a sur moi, il ne dirait pas la même chose.
— Pas du tout, mais…
— Tu voudrais dormir, j’ai compris.
— Ne le prends pas mal, c’est le début alors si je commence à louper des cours, je ne te raconte même pas la suite de mon année…
— Si tu étais avec moi, tu ne dormirais jamais la nuit.
— Sûrement…, mais tu n’es pas là, le seul lien qu’il nous reste c’est le téléphone… je n’ai jamais été fan des relations à distance.
— T’es sûre que tu aimes les hommes ?
— Oh ça oui, tu peux me croire. Mais pour le moment, le seul qui m’intéresse n’est pas accessible.
— Paige, tu es si mystérieuse, qu’est-ce que tu caches ?
— Ma vie a toujours été compliquée. Même moi je me perds.
— Paige ?
— Oui ? En même temps, il n’y a qu’à moi que tu peux parler.
— Très drôle. Aie pitié de moi… Skype ? J’ai envie de te voir…
— Tu n’as pas peur que je voie ta tête quand t’as picolé ?
— Non, parce que je dessaoule un peu, du coup, je ne fais pas peur.
— Bon OK… laisse-moi le temps d’allumer le PC et je te rappelle. Je suis déjà tellement faible face à toi, tu gagnes toujours.
Je sors de mon lit pour prendre mon ordinateur qui est sur mon bureau. Une fois réinstallée dans mes draps, je l’allume. J’ai à peine le temps d’ouvrir Skype qu’il m’appelle… eh bien dis donc il a quand même une tête à faire peur.
— Je suis sûre que tu m’as dit que tu dessaoulais pour que je dise oui.
— Touché. Tu ne m’en veux pas ? Sinon je sais que tu n’aurais pas voulu.
Si tu savais que je m’en fous que tu sois bourré ou pas, du moment que je peux te voir.
— Non, ne t’en fais pas, par contre je ne suis pas sûre que ça dure longtemps. Il est une heure et je suis claquée.
— Mais pas ici…
— C’est ça, regarde-moi avec un regard de chien battu, tu vas en cours à ma place demain matin ? Et je te rappelle qu’on n’est pas dans le même pays, ni sur le même continent. C’est le début de soirée chez toi, mais la nuit chez moi.
— Si je pouvais, je te ferais un mot d’excuse !
— Oui, bien sûr, et tu aurais mis quoi ?
— J’aurais dit que je suis désolé, mais mademoiselle Martin m’a empêché de dormir tellement elle révisait ses cours et forcément elle n’a pas pu fermer l’œil de la nuit…
— Genre, c’est moi qui t’empêche de dormir. Laisse-moi rire.
— Vas-y, je t’en prie.
Et cela continue comme ça toute la nuit… Enfin, je finis par m’endormir à l’heure où je dois me lever, mais tant pis. Je ferai une exception aujourd’hui. J’ai adoré passer ma nuit à le regarder essayer de se faire comprendre. Je pense qu’il tenait une bonne cuite surtout que ses potes étaient encore là alors que nous nous parlions, du coup il a continué à boire. J’imagine bien sa tête au réveil, il va avoir un chantier dans le crâne.
Il est midi passé quand je me décide enfin à me réveiller. Il va falloir que je me bouge, ce soir j’ai invité du monde. Je rallume mon PC pour regarder mes messages, et Skype s’ouvre automatiquement. Je vois une note que je n’avais pas vue en le coupant. Je suis surprise, mais je finis par la décrypter. Je file à la cuisine avec mon ordinateur sous le bras et j’appelle Maci.
— Patate, il faut que tu voies ça.
— Qu’est-ce qui se passe ?
— J’ai mis un moment à comprendre, mais regarde ça.
— En effet, il ne devait pas être très frais quand il t’a écrit.
— En gros il dit : « Ne rigole pas si tu ne comprends rien, la journée et la soirée ont été dures, je ne sais même pas pourquoi je t’écris tout ça, l’alcool m’aide sûrement beaucoup. Tu n’imagines même pas à quel point tu me manques, à quel point je pense à toi tout le temps, et à quel point je meurs d’envie de te revoir. Les quinze jours passés ensemble ont été les plus beaux de ma vie… Et l’année prochaine c’est un chiffre rond, je te fais un bébé. »
— C’est terriblement mignon ! Tu ressens quoi pour lui bichette ? Je me rappelle la dernière fois que je t’ai vue dans cet état, on était des ados et tu venais de tomber sur Dylan. On va éviter le sujet bébé et dire que c’est l’alcool qui lui fait écrire ça, me dit Maci.
— Tu l’as dit, le jour où je l’ai rencontré je lui suis complètement tombée dessus ! Mais ça fait tellement longtemps. Tu sais pourquoi j’ai peur de m’attacher, j’ai tellement eu du mal à remonter la dernière fois, je me suis noyée dans les études exprès, lui réponds-je.
— On va y aller étape par étape. Tu penses quoi de lui ?
— Il est génial, il me manque et tu sais que je pense tout le temps à lui. Je n’arrive pas à me le sortir de la tête. Cette nuit encore, on l’a passée à discuter… Bon, OK, il était bourré, mais il m’a fait mourir de rire. J’ai l’impression de revivre quand je lui parle. Lorsque je suis épuisée et que je n’ai pas le moral, il suffit qu’il me parle et ça va mieux. C’est dingue, mais j’ai peur… je me suis déjà trop brûlé les ailes.
— Mais en même temps tu ne peux pas rester comme ça. Tu veux qu’on sorte tout à l’heure plutôt que demain ? Vu que Carole, son mari et Nova Lee viennent juste pour manger, ça nous laissera du temps pour nous préparer et sortir.
— Rooh ce serait super. Je dois me le sortir de la tête.
— Lui parler tout le temps n’arrange pas.
— En effet, mais je crois qu’on n’arrive pas à ne pas se parler. Je suis déjà trop accrochée, j’ai peur de tomber et j’ai besoin de me protéger. Bon allez, on va se préparer et aller faire des courses pour ce soir.
— Ouais, il est temps.
Une fois prêtes, nous prenons la voiture de Maci et c’est parti.
— Ça va te faire du bien de la revoir et je vais avoir besoin de toi lundi, si tu veux bien.
— Oh ça oui c’est clair. Sans problème, j’ai cours que le matin et je ne bosse pas à la librairie. C’est pour quoi ?
— J’en ai marre d’avoir cette impression d’être tout le temps suivie… j’ai besoin de retrouver ma vie d’avant et comme tu sais que j’adore la boxe depuis toute petite, je me suis dit que je m’y mettrais bien. Faut que je me défoule, si je ne fais rien je vais devenir folle. Je passe mon temps à dormir, à avoir la trouille de tout. Ça doit changer.
— Oui, j’ai hâte. Mais on va déjà profiter de notre soirée et de notre nuit. D’ailleurs, dis-moi, comment ça se passe avec James ? Ça fait un moment qu’il n’est pas venu à l’appart, c’est tout le temps toi qui y vas.
— Eh bien pour être honnête, je ne sais pas trop ce qu’il se passe entre nous en ce moment… à chaque fois que je suis avec lui, il est distant, il passe son temps sur son téléphone et il me parle à peine. Puis je ne te raconte pas les messages sur lesquels j’ai pu tomber. Alors je reste la nuit pour que tu ne t’en fasses pas, mais visiblement tu l’as remarqué quand même. Je pense qu’il a du mal depuis que j’ai été agressée et qu’il voit quelqu’un d’autre.
— Maci, ce n’est pas ta faute hein, tu n’as rien fait pour que le gars se jette sur toi. Il passe son temps sur son téléphone tu dis… je ne voudrais pas t’inquiéter, mais méfie-toi. Je suis passée par-là et ça n’a rien donné de bon. Il y a clairement un truc.
— Mouais je me doute et impossible de chopper son téléphone. Il l’a tout le temps avec lui maintenant.
La pauvre, je sais ce que c’est, j’y ai eu le droit avec Dylan, je lui avais pardonné parce que je l’aimais vraiment, mais j’ai eu beaucoup de mal à lui refaire confiance. Il m’avait trompée, pour moi il n’y avait rien de pire, et pourtant je suis revenue vers lui. Tout le monde me disait que j’étais faible, que s’il l’avait fait une fois et que j’étais revenue, il recommencerait. Mais à cette époque, seulement Maci savait pourquoi je revenais.
Une fois les courses faites et de retour à l’appart, je me décide à embêter Roman. Je m’enferme dans ma chambre pendant que Maci fait le dessert de ce soir. Et j’appelle celui qui hante mon esprit.
— La marmotte, il est temps de se réveiller ! lui dis-je.
— Chut, ne crie pas si fort, me répond-il.
— Très cher, je ne crie pas, je parle normalement. Mais quelqu’un doit avoir un sacré mal de crâne.
— Ne m’en parle pas… j’ai l’impression d’avoir un concert dans la tête. Plus jamais, je bois.
— C’est ce qu’on dit tous, moi la première et pourtant, je bois toujours !
— Ouais, mais là c’est horrible. Du coup t’as été en cours ?
— Oui, bien sûr. Je te rappelle qu’à cause de quelqu’un je me suis endormie au moment où j’étais censée me lever.
— Je suis désolé. Comment je peux me faire pardonner ?
— Viens me voir…
— J’adorerais, mais tu sais que ce n’est pas possible. Je suis trop loin.
Je change vite de sujet parce que sinon je vais déprimer, ce serait plus facile de tout lui dire en face, ce que je ressens, ce qu’il représente pour moi.
— Au fait, merci pour ton message, mais…
— Non, laisse tomber, je ne sais même pas pourquoi j’ai écrit ça, j’étais complètement cuit…
— Ah bah ça oui. Il m’a fallu dix minutes pour comprendre. Je vais devoir te laisser il faut que je commence à préparer à manger pour ce soir, on a du monde et Maci a déjà fait le dessert, je ne peux pas la laisser tout faire toute seule. On a changé nos plans, on sort ce soir plutôt que demain, j’ai vraiment besoin de me défouler.
— Pas de souci. Profite de ta soirée et de ta nuit. On se parle plus tard demain. Ne pense pas trop à moi !
— Ça va les chevilles ? Toi non plus, ne pense pas trop à moi ! Bisous chaton.
— Bisous chouchoute.
Après avoir raccroché, je file rejoindre Maci dans la cuisine. Nous finissons de tout préparer, il est bientôt dix-neuf heures lorsque l’on frappe à la porte. Maci va ouvrir le temps que je finisse de m’arranger.
Quel plaisir de revoir Carole et Nova Lee, elles ont égayé ma soirée. L’apéro et le repas se sont bien passés. Nous leur avons bien sûr fait visiter l’appartement vu que nous avons déménagé quelques semaines auparavant, et elles étaient plutôt contentes pour nous. J’avais enfin quelque chose de positif à leur montrer et je suis fière de moi. La soirée est passée tellement vite que je n’ai pas eu le temps de penser à Roman, et ce n’est pas plus mal. Il est maintenant l’heure d’aller me changer et direction la boîte.
Comme à mon habitude, je sors ma tenue spéciale boîte de nuit. Une jupe blanche, des talons noirs (même si je sais que je vais finir la nuit avec les chaussures à la main) et un dos nu blanc avec une fermeture éclair sur le devant. Depuis que nous sortons, je suis toujours tout en blanc, comme ça les filles peuvent me retrouver si elles me perdent ! Et Maci m’a emprunté ma tunique avec de la dentelle dans le dos (comme chaque fois). Pour ma part, je décide de laisser mes cheveux détachés même si je sais pertinemment que je vais le regretter au bout d’une heure, mais tant pis. Un peu de maquillage et le tour est joué.
Nous sommes en voiture lorsqu’Alice, qui est en pause, nous appelle :
— Les gon’z, comment ça a été ?
— Nickel, maintenant on sort.
— Ce n’était pas demain ?
— Si, mais vu que tu ne veux pas venir avec nous bah on a décidé de sortir maintenant.
— Pas de problème. Profitez bien les gon’z, je vous aime et buvez pour moi !
— Compte sur nous, nous aussi on t’aime. Bisous.
Sur le parking de la boîte, nous savons très bien que nous allons avoir du mal à repartir, comme toujours. Nous sommes tout le temps obligées d’attendre un peu parce que nous buvons autant l’une que l’autre et nous ne sommes pas en état de conduire. Mais pour le moment, nous allons profiter.
Une fois rentrées, c’est direction le bar, nous sommes connues dans cette enceinte. Nous venons dès que nous pouvons, et cela depuis que nous avons seize ans, même si à l’époque nous n’avions pas trop l’âge d’y entrer, Maci sortait avec le fils du patron. Nous avons toujours vécu ici.
Nous nous dirigeons vers la piste avec nos verres et comme nous l’avons toujours fait, nous montons sur les baffles… ça a toujours été un super endroit pour repérer les garçons. C’est d’ailleurs comme cela que je suis tombée sur Dylan, j’étais bourrée, lui aussi, il est passé devant moi en me fixant, je n’ai pas vu que j’étais au bord du baffle et je suis tombée !
Nous dansons depuis un moment et Maci me dit qu’elle a encore soif, du coup nous descendons et comme je m’en doutais, je commence à avoir mal aux pieds alors j’enlève mes chaussures.
Lorsque j’arrive au bar, mon regard se tourne vers quelqu’un.
— Maci, c’est une blague… dis-moi que je rêve.