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Prologue


 

Août 2016…

 

Le véhicule évoluait péniblement sur la piste à flanc de montagne, secouant ses passagers sans ménagement à chaque bosse ou nid-de-poule. La chaleur et la promiscuité n’arrangeaient rien, et Dan voyait bien que Lindsey tentait de contenir les nausées qui lui donnaient des sueurs froides. Depuis qu’ils avaient découvert cette grossesse inespérée, passée jusque-là inaperçue, ils avaient décidé de mettre un terme à leur voyage dont les conditions étaient trop précaires pour assurer le confort de la future maman. Le couple plus amoureux que jamais bénissait déjà ce cadeau. L’enfant à venir allait certes bouleverser leurs projets, mais le bonheur était à son comble et des images de leur futur fusaient dans leurs têtes. Lindsey se lova contre le torse de Dan, tandis qu’il passa une main protectrice sur le ventre de sa bien-aimée, imaginant avec fierté cette parcelle de vie qui prenait forme, tout en ouvrant la petite fenêtre coulissante pour renouveler un peu l’air.

Soudain, au détour d’un virage, le conducteur se mit à pester dans sa langue natale, et klaxonna en écrasant le frein de tout son poids. Les passagers se mirent à paniquer, et le couple n’eut que le temps d’apercevoir un camion couché en travers de la route avant l’inévitable collision. Le choc fut terrible, et le bruit assourdissant. Le bus fit inexorablement de nombreux tonneaux en dévalant la falaise, au milieu de la végétation. Les corps malmenés se mêlaient aux bagages et aux animaux dans un enchevêtrement chaotique où les cris de peur et de douleurs perçaient sinistrement. Dan ne parvint pas à rester auprès de Lindsey, il avait beau s’accrocher de toutes ses forces, la violence du contact de l’armature métallique du véhicule sur le sol, et les vitres pulvérisées furent telles qu’il perdit tout repère, tandis que la carcasse continuait sa course folle sur la pente vertigineuse. Après ce qui parut une éternité, l’habitacle fut enfin stoppé dans son élan par de gros arbres qui surplombaient de plusieurs dizaines de mètres le lit d’une rivière. Le corps blessé du jeune homme fut projeté lourdement à l’extérieur. Dans sa chute, il aperçut l’ombre du bus en équilibre sur la végétation, les roues tournées vers le ciel. Il essaya d’appeler Lindsey, quand sa tête heurta un rocher, lui faisant perdre connaissance au beau milieu du courant de la Cisadane, le faisant rapidement dériver, inconscient, son sang se diluant dans cette eau chargée de boue à cause des dernières pluies. 

Il n’eut pas le temps de sentir l’odeur du gasoil qui se diffusait dans l’air moite de cette région étrangère. Il n’entendit pas les hommes accourant pour porter secours à d’éventuels rescapés ni Lindsey hurler de douleur et de désespoir, le croyant mort, pendant qu’on l’extrayait avec difficulté de cette scène macabre. Il ne distingua pas non plus la déflagration qui résonna contre les parois de la falaise ni le souffle de l’explosion qui fit trembler la terre aux alentours. Il sentait juste ses paupières lourdes, la fraîcheur de l’eau qui le berçait, et cette brûlure lancinante au crâne qui semblait peu à peu s’atténuer, anesthésiant en même temps le reste de son être. Était-il en train de s’enfoncer dans le sommeil ou était-ce la mort qui le gagnait ?

 

 

 

Chapitre 1


 

Août 2019…

 

Lindsey et Stuart vivaient une passion idyllique. Ils étaient mariés, et attendaient un heureux événement. Cette petite fille était porteuse de beaucoup d’espoirs pour chacun d’eux. La jeune femme y voyait là une revanche sur son passé tragique, mettant un point final à des blessures pourtant indélébiles. Stu, quant à lui, souhaitait enfin tourner une page douloureuse de son histoire qui lui avait été cachée durant de nombreuses années, notamment concernant l’absence de sa mère au cours de son enfance, décidant d’un commun accord d’appeler ce petit ange Mélinda, en l’honneur de la maman du jeune homme qui avait été assassinée par son premier mari. Ils avaient pansé leurs blessures ensemble, s’appuyant l’un sur l’autre pour traverser ces épreuves. Leur destin était scellé et le fruit de leur amour en était la consécration ultime. Au cœur de Pacifica, la vie était tout à fait sereine dans la propriété de Stuart, que ce dernier avait fait mettre au nom de Lindsey à parts égales depuis leur union. La confiance était le ciment de leur relation, et au vu des événements qu’ils avaient traversés jusque-là, il ne faisait aucun doute quant à la sincérité de leurs sentiments. 

En cette fin du mois d’août, les deux tourtereaux se prélassaient dans leur lit, profitant de l’air matinal avant que la chaleur n’accable encore la journée, au grand dam de la jeune femme qui commençait à être de plus en plus fatiguée par l’avancée de sa grossesse. Elle n’avait pris que six kilos, pourtant elle avait la désagréable sensation de ressembler à une grosse baleine tant elle peinait à voir le bout de ses pieds, qui enflaient au moindre écart de conduite. Stuart était particulièrement attentionné avec elle, et veillait aux plus infimes signes révélant que son épouse avait dépassé ses limites. Lindsey ne devait accoucher que fin octobre, pourtant la perte de son premier enfant avait laissé des séquelles qui l’obligeaient à rester prudente, même si elle se sentait parfois pousser des ailes. Car le caractère de la jeune femme était toujours le même, combattif, elle n’aimait pas se laisser aller à l’inactivité. Portée par le bonheur, elle se sentait prête à entreprendre les derniers préparatifs avant l’arrivée de leur petite princesse. Il faut dire que son projet de galerie était toujours d’actualité, mais elle avait dû repousser l’idée de planifier l’inauguration en janvier 2020 plutôt qu’à la rentrée de septembre.

Stu sauta du lit et la sortit de ses pensées.

— Alors, mon amour, que veux-tu pour le petit-déjeuner ? Des pancakes à la myrtille ?

— Tu sais me prendre par les sentiments dès le lever du soleil !

— Tu me connais ! Je te suis dévoué corps et âme pour satisfaire tes moindres envies de femme enceinte !

— Je sais, et ce n’est pas pour me déplaire d’ailleurs…

Le jeune homme lui jeta un regard malicieux, déposa un doux baiser sur ses lèvres et descendit à la cuisine pour préparer les gourmandises de sa dulcinée. Lindsey s’étira doucement en bâillant et se leva avec précaution pour aller prendre une douche. Comme à son habitude, elle fit couler le robinet le temps de se déshabiller afin que l’eau soit à parfaite température. Les vagues sur son ventre témoignaient de la vigueur du bébé en ce début de matinée, ce qui la fit sourire.

— Oui, je sais, toi aussi tu as faim ce matin, mais sois patiente… Papa est en train de nous préparer ce qu’il faut… murmura-t-elle, en caressant son abdomen arrondi.

Elle savoura le jet d’eau fraîche sur son corps qui finit de la réveiller et soulagea ses jambes endolories par les crampes nocturnes. Après avoir fini, elle tortilla rapidement ses cheveux ambrés pour les essorer succinctement, et s’emmitoufla dans une grande serviette. Être enceinte en été n’avait pas que des inconvénients, car il suffisait d’enfiler une robe un peu large, et surtout légère et le tour était joué. Ses cheveux séchèrent seuls tandis qu’elle hydrata son visage. Avant de descendre rejoindre son homme, un coup d’œil sur son flacon de parfum à la fleur d’oranger lui fit monter une nausée. Ces derniers temps, son odeur l’indisposait étrangement.

— Foutues hormones, lança-t-elle, en sortant de la chambre.

Lindsey descendit l’escalier et se stoppa net, figée, grimaçant et passant une main sur le bas de ses reins. Une sorte de décharge électrique venait de la saisir en une fraction de seconde avant de disparaître aussi vite que venue, laissant une vague douleur sourde se répandre dans son bassin. 

Après quelques minutes, la jeune femme continua pour rejoindre son époux à la cuisine, passant sous silence ce détail minime de son point de vue.

— Je meurs de faim, dit-elle, en humant la délicieuse odeur qui se dégageait du plan de travail.

— Si madame veut bien se donner la peine, répondit Stu d’un air solennel.

Ils dégustèrent leurs petites crêpes onctueuses, savoureusement accompagnées de myrtilles et de fraises. Lindsey sirota son infusion en soufflant régulièrement dessus pour la faire refroidir un peu. Depuis le début de sa grossesse, elle avait à son grand regret tiré un trait sur le café qui avait le don de lui retourner aussi l’estomac, et rêvait déjà d’un généreux latte macchiatto au Chit-Chat en compagnie de Johan, qui en cette période estivale était submergée par le travail. Tandis qu’elle terminait sa boisson chaude, et que Stu débarrassait le comptoir de la cuisine tout en lui détaillant sa matinée, la voix de son époux semblait s’éloigner étrangement, et sa vue se brouilla alors qu’elle se levait de sa chaise, sa tasse lui échappant. Le fracas de la porcelaine sur le carrelage du sol la fit sursauter et reprendre ses esprits. Stuart s’élança pour l’empêcher de se baisser pour ramasser les morceaux brisés.

— Que se passe-t-il, chérie ?

— Oh rien, juste une maladresse…

— Tu es sûre ? Tu es livide depuis que tu t’es levée…

— Je suis peut-être un peu fatiguée, effectivement.

— Il faut que tu te ménages, Lindsey, le médecin te l’a dit.

— Oui, je sais, soupira-t-elle.

— Alors aujourd’hui, madame Dawson, vous êtes priée de vous reposer et rien d’autre !

— Oh, Stu, tu sais que je n’aime pas rien faire…

— Je sais, mais la pâleur de ton visage et ton étourdissement font que tu n’as pas le choix.

— OK, OK… Je vais me reposer sur le canapé et trier les derniers clichés que j’ai pris pour envoyer une sélection à Tina.

— Excellent programme ! Mais rien de plus, promis ?

— Oui !

Stuart l’aida à s’installer confortablement et lui apporta son ordinateur portable. Tandis qu’il déposait un tendre baiser sur le front de Lindsey, son téléphone sonna.

— Allô ? Joshua, comment allez-vous ?

— Bien, monsieur Dawson. Je m’excuse de vous déranger, mais il semblerait que nous ayons une inspection sanitaire à l’improviste au Surf Lounge…

— Ah bon !

— Oui, un certain monsieur Tildon est avec moi, ici même, et attend votre arrivée pour faire le tour du bar et de ses installations afin de vérifier les conformités sanitaires.

— Pas de soucis, je pars immédiatement.

Il regarda la jeune femme au ventre arrondi, dont le regard était perdu au loin, sur le point de s’excuser d’avance d’être contraint de partir en coup de vent, quand celle-ci murmura :

— Vas-y, mon amour, ne t’inquiète pas, je vais rester sage.

— Très bien, je t’appelle dans la matinée.

Alors que la porte d’entrée claqua, Lindsey ne put s’empêcher de réprimer une bouffée d’angoisse, comme toutes les fois où elle se retrouvait seule ces derniers temps. La grossesse se passait bien, mais la future mère redoutait malgré tout qu’il lui arrive un souci avec son bébé quand Stu n’était pas présent. Cette inquiétude était tenace, alors pour se rassurer, elle téléphonait souvent à Marie qui était passée par là il y a quelques mois de cela et qui avait le don d’apaiser ses craintes. Mais il était encore un peu trop tôt pour la contacter avec le décalage horaire, alors se promettant de le faire un peu plus tard dans la journée, la jeune femme tenta de chasser ses idées noires en allumant son ordinateur. Elle avait des centaines de photos à trier, et devait répertorier celles à envoyer à Tina pour la galerie de New York, et celles à conserver pour agrémenter sa future salle d’exposition. 

Elle passa ainsi près de deux heures à organiser minutieusement ses dossiers, puis envoya un mail à Tina où elle lui expliquait son choix par rapport aux clichés sélectionnés. Cette dernière la rappela dans la foulée et toutes deux passèrent un moment à discuter. Depuis leurs mariages respectifs et le rapprochement d’Andrew avec son frère, les deux jeunes femmes étaient très liées et discutaient longuement aussi bien du travail que de leurs vies personnelles. Après avoir rassuré également sa belle-sœur quant à son état de santé, Lindsey raccrocha et poussa un soupir. La fatigue la gagnait à nouveau et la douleur en bas de son dos était toujours discrètement présente. Elle se leva et se dirigea vers la cuisine pour se servir un grand verre d’eau fraîche. En buvant à petites gorgées, la jeune femme sortit sur la terrasse pour prendre l’air. Une légère brise chargée d’embruns soufflait légèrement, rendant déjà l’air moite en ce milieu de matinée, inspirant pourtant profondément ce parfum iodé qu’elle affectionnait tant et qui faisait maintenant partie intégrante de sa nouvelle vie. Lindsey posa son verre vide sur la table du salon de jardin et s’avança pieds nus, comme à son habitude, vers le bord de la falaise en bout de propriété, profitant du contact de l’herbe sous ses pas et l’étrange sensation qui l’envahissait à chaque fois que la ligne d’horizon apparaissait avec la mer en toile de fond. Ce décor idyllique était son refuge, et en admirant la plage en contrebas, la jeune femme s’imaginait déjà s’y promener avec sa petite fille, les vagues venant leur lécher les pieds dans de grands éclats de rire. Elle caressa tendrement son ventre, et se laissa aller à d’autres rêveries, lorsqu’une nouvelle douleur se propagea dans son bassin, l’encerclant fermement, son ventre durci sous ses doigts, elle comprit vite que c’était une contraction. Se concentrant sur sa respiration et attendant que la douleur se dissipe quelque peu avant de rebrousser chemin vers la maison, elle dut s’arrêter une nouvelle fois en atteignant la terrasse pour souffler en fermant les yeux, mais la sonnerie de son téléphone portable la sortit de sa concentration, pressentant que c’était Stu qui appelait. Lindsey rentra dans le salon, prit place sur le canapé pour décrocher après avoir pris une grande inspiration.

— Alors, mon amour, cette visite impromptue s’est bien déroulée ?

— Oui, vraiment aucun souci. Et toi, comment vas-tu ?

— Parfaitement bien, mentit-elle, en se mordant la lèvre, un peu fatiguée à nouveau.

— Ah… Je voulais t’annoncer que je dois déjeuner avec un nouvel investisseur qui passe en ville aujourd’hui, mais si tu préfères que j’annule, il n’y aura pas de problème.

— Non ! Stuart, je suis enceinte, pas mourante. Va déjeuner avec ton partenaire, je vais en profiter pour faire une petite sieste.

— Tu es sûre, Lindsey ?

— Absolument, ne t’inquiète pas, crois-moi, assura-t-elle, convaincue qu’un peu de sommeil effacerait ces petites contractions.

— Bon OK, après j’ai quelques rendez-vous comme je t’en ai parlé ce matin, mais je ferai en sorte de ne pas rentrer tard, d’accord ?

— Entendu, mon chéri, à tout à l’heure. Je t’aime.

— Moi aussi…

En regardant l’écran de son smartphone s’éteindre, elle culpabilisa de ne pas avoir dit la vérité à son mari, mais s’il avait su que depuis son réveil des douleurs la taraudaient, il aurait annulé tous ses rendez-vous pour revenir à ses côtés. Après tout, quelques contractions à sept mois de grossesse étaient tout à fait normales. Inutile de s’angoisser pour rien, un peu de repos au lit était à l’évidence la solution. La jeune femme prit soin de refermer la baie vitrée, verrouilla la porte d’entrée à clé et monta doucement à l’étage pour rejoindre la suite parentale. Une fois les double-rideaux tirés, elle se glissa dans le lit et ferma les yeux, sentant enfin les mouvements intempestifs de sa fille se calmer dans son ventre… Le sommeil la gagna rapidement, mais n’eut pas l’effet réparateur escompté tant les douleurs revenaient la malmener. Lindsey avait beau essayer de soulager le bas de son dos en calant son ventre sur un coussin de grossesse, rien n’y faisait. Ce sentiment de malaise général la gagnait de plus en plus et la rendait nerveuse. Peut-être n’avait-elle pas assez écouté les conseils de son entourage et en avait-elle fait plus que de raison. Il lui semblait pourtant avoir la forme ces derniers temps et ne pas en avoir abusé au point de dépasser ses propres limites. Heureusement, la climatisation qui s’était déclenchée permettait de maintenir une ambiance tout à fait supportable. 

Malgré tout, au bout de deux heures de repos forcé, elle ne put se résoudre à s’infliger plus longtemps ce supplice et se leva, pensant que marcher un peu dans la maison allait détendre ses lombaires. Après être descendue jusqu’à la cuisine et s’être servie une boisson fraîche qu’elle but lentement en caressant à nouveau son ventre tendu. Chaque gorgée lui fit monter une nausée légère, mais dérangeante. La jeune femme n’eut que le temps de poser son verre sur le comptoir et s’agrippa de toutes ses forces tandis qu’une vague plus douloureuse que toutes les autres ne la fige sur place. Sa respiration se rythma instinctivement comme elle l’avait appris en cours de préparation à l’accouchement, ces dernières semaines, et sa concentration fut totale pour laisser passer cette contraction qui la ceinturait. Quand cette dernière se dissipa enfin un peu, Lindsey prit son téléphone et alla s’asseoir sur le canapé. Ses tempes tambourinaient et la nausée revenait. Que pouvait-il bien se passer ? Il était trop tôt, ce n’était pas le moment, pas encore. Une pensée négative traversa son esprit, et en une fraction de seconde la future mère pensa au pire. Et si elle était en train de perdre sa fille ?

 

***

 

Stuart était en plein rendez-vous avec son investisseur lorsque son téléphone vibra dans sa poche. Il n’y prêta pas cas immédiatement pensant que la personne qui appelait laisserait un message. Mais lorsque son smartphone se manifesta à nouveau, le jeune homme comprit qu’il fallait décrocher et pensa à sa femme.

— Allô, Lindsey, que se passe-t-il ?

— Stu… J’ai des contractions et je saigne, je suis en train de perdre notre enfant…

— Merde… J’arrive immédiatement.

Il raccrocha encore sous le choc de cette annonce et planta sur-le-champ son collègue sans plus d’explications. Stuart monta dans sa camionnette et roula à toute vitesse pour traverser la ville. Le son de la voix de son épouse était chargé d’émotions et il regrettait déjà de ne pas avoir été plus rassurant. Inutile de réfléchir bien longtemps pour la rejoindre et affronter avec elle ce qui les attendait. Il était hors de question qu’un autre drame vienne ébranler Lindsey. Perdre un bébé une seconde fois, elle ne s’en remettrait pas. Le futur père appela une ambulance tandis qu’il fonçait, et essuya les larmes qui lui brouillaient la vue en arrivant aux abords de la propriété. Si un malheur devait arriver, comment réagirait-il ? Cette petite Mélinda tant attendue était une ode à la vie, un hommage à sa propre mère. Le destin ne pouvait pas s’acharner à ce point et lui prendre encore une fois un être cher… Il se gara en trombe devant la maison et sauta de son véhicule sans prendre la peine de fermer la portière. Stu pénétra dans la villa et alors qu’il s’apprêtait déjà à crier son prénom, Lindsey posa un regard empreint de panique sur son mari. Découvrant alors avec horreur sa femme recroquevillée contre un mur du hall, assise sur le sol carrelé maculé de son sang.

— Lindsey, mon Dieu !

Il se pencha sur le corps trempé de sueur et tordu de douleur de cette dernière. Elle le regarda totalement désarmée et attrapa sa main pour la serrer fermement tandis qu’une autre contraction lui fit lâcher un cri strident. L’ambulance arriva, toute sirène hurlante, et sans réfléchir, le jeune homme attrapa Lindsey dans ses bras et la porta dehors jusqu’aux secouristes qui la prirent en charge immédiatement.

— Combien de semaines d’aménorrhée ? demanda l’un des urgentistes.

— Trente-deux semaines, répondit Lindsey péniblement.

Cette réponse inquiéta visiblement le personnel médical qui se lança des regards songeurs, avant de conclure :

— On lui injecte immédiatement douze milligrammes de bétaméthasone en intramusculaire pour la maturation des poumons et on la transfère en unité de périnatalogie au Sullivan Center.

— Puis-je monter avec elle ?

— Non, désolé, monsieur, mais suivez-nous.

Les portes se refermèrent et Stuart regarda l’ambulance repartir aussi vite qu’elle était venue. Paniquant littéralement et ayant du mal à rassembler ses idées, il verrouilla la maison en jetant un dernier coup d’œil à la flaque de sang sur le sol de l’entrée. Puis, balayant toutes pensées négatives pour le moment, il sauta dans sa camionnette et fonça lui aussi vers l’hôpital où devait être admise sa femme.

En cette fin d’après-midi, le parking de l’hôpital était saturé et l’accès aux urgences n’étant réservé qu’aux ambulances, Stuart fut contraint de demander à l’accueil où était sa femme afin qu’on l’oriente vers le service approprié. Malheureusement, il ne put voir Lindsey, mais observa qu’il y avait beaucoup d’effervescence. Malgré ses supplications, il se confronta à de multiples refus sans motifs légitimes. Ne sachant donc pas ce qu’il se passait, si son épouse allait bien et si leur enfant allait survivre, il s’affala lourdement sur l’un des fauteuils du couloir et appela Johan pour l’informer de la situation. Ce n’est qu’en raccrochant qu’il constata douloureusement que ses mains étaient tachées de sang, ne pouvant dès lors retenir plus longtemps ses larmes de chagrin et d’angoisse dans ce couloir blanc aseptisé où personne ne semblait voir sa détresse…

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